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L’or perdu des feuilles mortes

28 octobre 2022 // Article

Article du Nouvelliste du groupe Les Coops de l’information dont fait partie La Voix de l’Est

Auteur Brigittte Trahan, journaliste

Il y a quelques années, la mentalité selon laquelle les gazons résidentiels ou municipaux devaient avoir l’air d’un vert de golf, et ce, à grands coups d’épandage de pesticides nocifs pour la santé et l’environnement, a peu à peu fait place à l’acceptabilité sociale de l’humble et mal aimé pissenlit. Les gens ont compris que la monoculture des graminées n’avait aucun bon sens sur le plan écologique et que la biodiversité avait meilleur goût. Or, il semble qu’un pas de plus dans nos changements de mentalité en milieu urbain s’offre à nous pour vraiment aider Mère Nature. Que diriez-vous de laisser vos feuilles mortes au sol chaque automne?

Vincent Maire, professeur-chercheur à l’UQTR en sciences de l’environnement et spécialiste de la relation entre les plantes et le sol, estime que se débarrasser complètement de nos feuilles mortes, l’automne, est loin d’être un bon coup.

C’est que ces résidus végétaux sont consommés par divers organismes qui en vivent et qui assurent la santé du sol.

«Quand l’arbre perd ses feuilles, il perd une partie des nutriments qu’il a acquis du sol. Lorsque les feuilles vont se décomposer, l’arbre va pouvoir récupérer une partie de ces nutriments», explique le chercheur. Les éléments contenus dans les feuilles colorées de l’automne sont en effet recyclés sous forme soluble que l’arbre pourra absorber le printemps suivant, explique-t-il. «Quand on ramasse les feuilles sous un arbre, on le prive de ses nutriments», dit-il. Pour les arbres, les plates-bandes et les jardins, les feuilles mortes sont de l’or.

En plus d’avoir congé de ramassage, du moins en partie, en laissant les feuilles mortes au sol, on évite également l’émission d’un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2: l’oxyde nitreux.

Voici pourquoi.

Les feuilles mortes vont «permettre aux microorganismes de capturer l’azote résiduel dans le sol», au début du printemps, explique le professeur Maire. S’il n’y a pas de matière organique comme les feuilles et de microorganismes pour les décomposer, l’azote minéral dans le sol «va partir avec l’eau et rejoindre le bassin versant et les rivières aux alentours», indique le chercheur. Pire encore, «à de fortes concentrations, l’azote dans notre sol peut être retourné vers l’atmosphère, émis sous forme d’oxyde nitreux», dit-il.

Le chercheur ajoute qu’il y a un autre grand bénéfice à ne pas intervenir dans le cycle du carbone et de l’azote en laissant Mère Nature gérer elle-même les résidus végétaux. «Il y a un vrai rôle écologique à garder notre matière organique dans les jardins et près de là où les feuilles sont tombées. Ça permet d’offrir un habitat et une ressource alimentaire aux espèces régionales. On parle d’insectes, mais aussi de tout le réseau trophique», explique le professeur Maire.

«L’idée, c’est de garder cette matière que nous donne l’environnement plutôt que de l’éloigner en l’envoyant dans la benne. C’est une richesse que l’on envoie à la poubelle», dit-il.

Les solutions pour les feuilles mortes

  • Faire de l’herbicyclage en les déchiquetant sur place sans rien ramasser ensuite
  • Les déchiqueter et les mettre sous bâche en hiver pour en faire du paillis au printemps
  • S’en servir pour isoler les arbustes et vivaces contre les rigueurs de l’hiver
  • Les conserver en tant que matières brunes pour les mélanger aux résidus verts et rognures de légumes en été pour faire du compost

Les raisons pour laisser les feuilles mortes au sol

  • Elles se décomposent et nourrissent l’arbre d’où elles sont issues
  • Elles permettent aux micro-organismes qui les mangent de capturer l’azote dans le sol au printemps
  • Les micro-organismes les mangent permettant ainsi d’éviter la lixiviation de l’azote dans les cours d’eau
  • Cela évite les émissions de l’oxyde nitreux dans l’atmosphère, un gaz à effet de serre encore plus puisant que le CO2
  • Elles offrent un habitat aux insectes et donc influencent positivement toute la chaîne trophique
  • Leur transport vers des sites municipaux de compostage engendre l’émission de CO2 par les camions
  • La collecte municipale engendre des frais de taxes collectives et oblige le propriétaire à acheter des sacs de papier chaque année

À titre d’exemple, à Trois-Rivières, entre 1700 et 1800 tonnes de feuilles mortes sont ainsi récupérées chaque année, indique Mikaël Morrissette du service des communications de la Ville. Cela a toutefois un coût pour les citoyens qui, en plus de devoir acheter des sacs en papier pour mettre tous ces résidus verts au chemin, doivent payer collectivement 69 000 $ par année de leurs taxes pour cette collecte.

L’ironie, c’est que ces mêmes citoyens achèteront de l’engrais et du compost le printemps suivant… pour alimenter leur gazon ou leur jardin.

La Ville n’a pas été en mesure de nous fournir des données sur les effets du transport de ces tonnes de feuilles, mais on sait qu’elles sont envoyées sur des fermes ou chez Enfoui-Bec qui en fait du compost et le redistribue, précise M. Morrissette.

Alors, laisser ou non les feuilles mortes sur nos gazons, l’automne? Réussirons-nous collectivement à faire ce virage et à s’habituer à des gazons, l’automne, qui n’auront pas été nettoyés à l’aspirateur comme des tapis? «C’est une question sociétale importante. Il y a une évolution des mentalités pour laisser davantage agir la nature», constate le professeur Maire. «Ça s’accompagne aussi d’une évolution des réglementations au sein d’une ville, mais après, c’est une question sociétale qui dépasse un peu les processus écologiques», dit-il.

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